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Paroles d'intrapreneuses #1 : Gaëlle Toledano de la Startup d'Etat ANDi

Depuis mai 2019, Gaëlle Toledano est intrapreneuse à la Caisse des Dépôts. Elle a lancé la Startup d’Etat ANDi actuellement en cours de pérennisation au sein de son administration d’origine.

Depuis plus d’un an, elle vit une aventure intrapreneuriale au sein de l’incubateur des services numériques de l’État membre du réseau beta.gouv.fr.

Nous lui avons demandé de nous en dire plus sur ce moment particulier de sa carrière.

Que faisais-tu avant d’être intrapreneuse ?

Je suis passionnée par les politiques sociales et culturelles. En sortant de Sciences Po, j’ai intégré le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), géré par la Caisse des Dépôts (CDC). Je coordonnais les travaux de recherche et les publications du conseil scientifique. J’ai ensuite rejoint le service communication de la CDC, comme rédactrice sur les sujets retraite, handicap et politiques sociales.

Cette expérience m’a donné envie de creuser l’innovation publique. Ma direction était alors engagée dans une transformation numérique. L’enjeu stratégique était fort dans un contexte de réforme des retraites et l’innovation nécessitait d’établir un maximum de contacts avec les usagers. La stratégie et l’opérationnel étaient relativement cloisonnés.

Fin 2018, une collègue m’a proposé de porter un projet singulier : créer la première startup d’État de la CDC, avec l’accompagnement de Bêta gouv. Il nous fallait construire un service pour et avec les personnes en situation de handicap. Un monde nouveau s’ouvrait à moi, celui de l’intraprenariat. C’est ainsi qu’en mai 2019 je me suis retrouvée à porter la création de la startup d’État ANDi.

Comment tu expliquerais cette mission à “ta grand-mère” ?

J’ai exercé le métier nouveau d’intrapreneuse : en quelque sorte, j’ai été chargée d’apporter de nouvelles méthodes de travail au sein de mon administration. Je devais partir des problèmes rencontrés par les usagers, ceux qui utilisent les services publics au quotidien, et prendre en compte leurs besoins et leurs avis pour améliorer ces services. Dans notre cas, ANDi a pour objectif de permettre aux personnes en situation de handicap de tester un métier facilement près de chez elles, pour voir si ce métier leur convient avant de s’y engager. Cela s’appelle une immersion professionnelle. C’est un dispositif méconnu et pourtant très utile, à la fois pour les personnes en situation de handicap et pour les employeurs qui cherchent à les recruter. Avec mon équipe, nous avons voulu faciliter l’accès et de l’immersion professionnelle et son utilisation par les usagers.

J’ai eu la chance de mener cette aventure au sein de la Caisse des Dépôts, réputée pour son ouverture à la nouveauté, notamment dans le numérique. Au démarrage, j’ai travaillé en binôme avec un coach de Bêta gouv. Nous sommes partis d’une page blanche et avons débuté par une investigation de 2 mois, interrogeant plus de 90 usagers en France : des personnes en situation de handicap, des employeurs, des prescripteurs et des associations. Progressivement l’équipe s’est étoffée et au bout d’un an, nous étions 8 personnes aux profils complémentaires, issus pour moitié de la CDC et pour moitié de Bêta gouv. Nous avons vécu une merveilleuse expérience, humainement et professionnellement.

Quel conseil t’a manqué avant de démarrer comme intrapreneuse et qui finalement t’aurait bien aidé ?

Le fait que ce n’est pas grave de ne pas parvenir à un service parfait au bout de six mois. Il vaut mieux sortir un produit imparfait mais fonctionnel plutôt qu’une usine à gaz reluisante dont aucun usager n’a attesté l’utilité. C’est le principe de la “méthode agile” : si la solution ne répond pas aux besoins, on en propose une autre. Cela implique de reconnaître ses erreurs et de changer de cap rapidement.

C’est sur cette dimension d’incertitude que j’aurais aimé être rassurée au démarrage : j’avais tendance à vouloir mettre en production une fonctionnalité uniquement si elle était exhaustive et terminée. Cela nous a fait perdre du temps. Nous aurions pu sortir rapidement un produit en version bêta avec un simple outil de mise en relation entre candidats et employeurs, mais nous avons voulu développer un service plus élaboré, qui permette aussi de tester l’éligibilité à l’immersion professionnelle. Cela nous a pris du temps à concevoir et développer et nous a fait “perdre” deux mois sur la sortie d’un outil simple mais fonctionnel, qui aurait été enrichi par la suite !

Qu’est-ce qui aurait pu faire que ta Startup d’État fasse un flop ?

De ne pas être assez autonomes et donc de s’enfermer dans les processus traditionnels des organisations. Pour innover, il faut avoir un champ d’action assez large pour sortir des sentiers battus. Les startups d’État changent la donne au sein des administrations car elles ne sont pas pilotées par les moyens, mais uniquement par la finalité. Il faut sans cesse se demander “en tant que service public quel impact souhaite-t-on avoir sur les usagers et quels sont les moyens adaptés pour y parvenir ?”

Nous avons réussi à maintenir cette autonomie de moyens (outils informatiques et techniques, recrutement, allocation du budget, gouvernance, stratégie), uniquement jusqu’à un certain point. Nous avons dû faire face à des résistances internes et c’est normal. Il est difficile pour l’administration d’accorder toute confiance à une équipe installée comme un “électron libre” et de la maintenir tout au long du projet. C’est un vrai défi et le prix à payer pour rendre l’innovation possible.

Quel est l’échec durant cette expérience dont tu es la plus fière ?

Les frilosités internes et l’acculturation difficile à l’innovation qu’il a fallu dépasser. Nous avons perdu trop de temps dans des tractations pour lever certaines inquiétudes, et cela a ralenti le développement du service. Malgré tout, nous avons sorti un service fonctionnel, aujourd’hui pérennisé au sein de la plateforme Mon Parcours Handicap, créé de l’émulation au sein d’un réseau important de personnes en situation de handicap, de partenaires institutionnels et d’employeurs.

Nous pouvons êtres fiers d’avoir sensibilisé notre administration à une nouvelle méthode de conception de services au public, d’avoir suscité des envies et des réactions en interne, même si pas toujours celles que l’on attendait. C’était une première expérience pour nous tous, l’équipe les responsables hiérarchiques et les métiers. Nous avons semé une graine et elle est en train de germer, en tout cas je le constate au sein de la Direction des retraites et de la solidarité, porteuse du projet.

Quelle est la qualité essentielle pour réussir comme intrapreneuse ?

Pour ma part, il m’a fallu des capacités d’adaptation et de médiation. J’ai rencontré et interagit avec une multitude d’interlocuteurs différents. C’était passionnant et exigeant en termes de polyvalence. Dans la même semaine, je pouvais interviewer un dirigeant d’association, faire tester des maquettes à des usagers, présenter le projet à un partenaire institutionnel ou à un cabinet ministériel, discuter sécurisation des données avec notre service juridique, lancer une nouvelle fonctionnalité avec nos développeurs, animer un webinaire devant des employeurs, présenter l’avancement de notre feuille de route lors d’un comité stratégique… Il fallait adapter sans cesse le discours, le niveau de langage, étayer l’argumentation, défendre nos idées et parfois les remettre en question. J’ai aussi dû développer mes capacités de médiation. L’intra est celui qui fait le lien entre l’administration et l’incubateur Bêta gouv, entre son équipe, les métiers et la hiérarchie interne. Ces interlocuteurs ont des intérêts communs et divergents à la fois. Il faut faire preuve de diplomatie, concilier les enjeux et les approches, faire adhérer à la méthode particulière d’innovation que représente la création d’une startup d’État, tout en travaillant son articulation avec la culture de l’administration. On dit que c’est 50% du rôle de l’intra et dans mon cas cela s’est avéré vrai !

Recommanderais-tu à un agent public de se lancer dans l’intrapreunariat ?

Oui sans hésiter. Si vous cherchez du sens à vos actions et que vous vous posez beaucoup de questions. Si vous voulez rejoindre une communauté dynamique et bienveillante, avec des gens qui s’en posent aussi. Si vous souhaitez acquérir une expérience de gestion de projet, si vous aimez les défis et que vous n’avez pas peur d’oser. Si vous êtes curieux et créatifs, que vous aimez imaginer, défricher un problème qui touche de nombreuses personnes, partir d’une page blanche et parfois tout recommencer. Si vous avez beaucoup d’idées, une envie de les réaliser et de les défendre, je ne peux que vous encourager à vous lancer dans l’aventure. C’est l’une de expériences les plus édifiantes que je connaisse dans la fonction publique.

Grace à ton expérience, quelles recommandations donnerais-tu à un agent public frustré, résigné ou en colère, souhaitant agir pour résoudre un problème majeur et non résolu d’une politique publique?

Dans la carrière d’agent public, un tel saut dans l’inconnu peut faire peur. Mon conseil serait de se lancer sans se poser trop de questions. Commencer par poser ses idées, par expliquer le problème à résoudre et pourquoi. Vous êtes les plus légitimes pour en parler car vous l’observez au quotidien. Pour le reste, Bêta gouv dispose d’outils pour vous accompagner et vous aider à transformer votre questionnement en une idée, puis en un produit. Vous serez entouré par une équipe, des rituels existent pour vous organiser, la communauté regorge de compétences et d’ateliers pour vous former. Vous ne serez pas seuls dans l’aventure et vous en ressortirez grandi, quoi qu’il arrive.


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