Tous les mercredi, à 12h00, a lieu dans les locaux de l’incubateur beta.gouv.fr une “réunion de service debout”, que nous nommons “le standup”. De toute mon expérience professionnelle, c’est l’unique réunion de service à laquelle je sois heureux de me rendre …
Ce moment de convivialité est aussi un exercice millimétré où le temps de parole est limité à une minute par startup du portefeuille, un peu plus de 80 à ce jour. Nous y accueillons régulièrement de nombreux invités, la réunion étant ouverte à tous :
En 30 minutes environ, je suis informé de l’ensemble des avancées et des problèmes que rencontrent les équipes, je peux demander de l’aide ou en fournir, je rencontre de nouvelles têtes, je me réchauffe le cœur auprès de pairs qui vivent la même aventure d’innovateurs publics.
Votre réunion de service est plus probablement semblable à mes précédentes expériences : longue, balayant tout un portefeuille d’activité avec peu de temps utile pour vous, pleine de non-dits, de postures complaisantes à l’égard de la hiérarchie …
Mais ce standard de réunion ne s’est pas créé ex-nihilo, il est le fruit de nombreuses itérations, dont je vais retracer la genèse, car elle illustre assez bien ce que signifie une discipline d’amélioration continue. Je vous la fournit en mode release note donc.
Début 2016, un certain Thibaut Gery (@ThibautGery), membre récent de l’incubateur, suggère d’organiser un standup hebdomadaire. Face au peu d’enthousiasme, les équipes se sentant plus concernées par leur startup que par le “projet incubateur”, il persévère, et nous réveille tous les mercredi à coup de Bob Marley où nous traînons les pieds pour prendre la parole chacun à tour de rôle.
La règle, qui est alors “une personne, une prise de parole”, conduit chacun à raconter ce qu’il a fait cette semaine (j’ai bien travaillé, j’ai beaucoup travaillé ..), ce qui est particulièrement inintéressant et au mieux du niveau expert de son sujet. Désormais, les équipes sont invitées à utiliser un porte-parole et orienter son intervention sur les accomplissements et les problèmes de l’équipe.
Un animateur prend la main pour inviter les participants et expliciter les règles du jeu. Ce moment témoigne de la réussite de Thibaut. Il n’a plus besoin d’être le moteur.
Les invités ou les nouveaux qui assistent à la réunion ne comprennent pas grand chose à ce qui se passe car chaque prise de parole fait l’hypothèse que l’auditeur connaît le contexte de chaque startup, son but, c’est à dire le problème qu’elle souhaite adresser. Nous décidons donc de réaliser un mur des startups, avec une photo pour chacune et des post-it sur son actualité. Le mur permet de séquencer les prises de parole, il simplifie le travail de l’animateur et permet à chaque équipe d’anticiper son tour de chant.
Avec une vingtaine de startups, la réunion dure désormais plus d’une demi-heure, certaines prises de parole durent trop longtemps voire s’éternisent dans des échanges bilatéraux qui n’intéressent que peu de monde. Une mesure du temps est mise en place et affichée au mur pour inviter les participants … à la mesure …
Le mur est assez joli, et provoque son effet waw lorsqu’un ministre débarque dans les locaux, pour autant, il ne réalise pas l’objectif assigné de permettre au nouveau de comprendre ce que fait chaque startup. Désormais on impose à chaque prise de parole de répéter ce que fait la startup. Maladroite au début, cette expression s’améliore en imposant aux porte-paroles d’introduire leur produit de façon la plus claire, rapide et efficace pour conserver le maximum de temps sur leur actualité. Cet exercice a poussé de nombreuses startups à modifier le slogan d’accroche de leur produit …
Les échanges bilatéraux polluent toujours le standup et sa durée ne fait qu’augmenter avec la taille du portefeuille. Tout le monde se rend compte que l’on ne passe pas à l’échelle si nous dépassons les 30 startups. Tout le monde, sauf moi ! Je suis à l’origine de nombreux commentaires ou questions et donc au centre du problème.
On (m’)interdit poliment les échanges bilatéraux ;) C’est un deuil pour moi, mais force est de constater que l’intérêt général est gagnant. J’obtiens désormais le même niveau de résultat en reportant à l’après-réunion ces conversations qui n’intéressaient que deux personnes. Nous introduisons dans la foulée un temps de parole transverse pour ceux qui ont une information d’ordre général à partager (pot, formation, demande d’aide, recrutement ..).
De plus en plus de monde se retrouve au standup : stagiaires de la formation Alpha, nouveaux membres de startups, journalistes, dirigeants d’administration … Pour faciliter leur intégration et d’éventuelles mises en relation, ils sont invités à se présenter en début de réunion.
Mesure radicale : le temps de parole est désormais limité à une minute. Impossible ? Non, cela crée simplement un exercice stimulant dans son fond comme dans sa forme. Petit à petit s’institue la pratique d’une parole tournante au sein de l’équipe, les plus juniors étant tout particulièrement invités à s’y confronter… A noter : après une première version qui passait à la startup suivante au bout d’une minute pile, nous optons pour une machine qui fait dig dong au bout d’une minute et continue ainsi, laissant un minimum de marges de manœuvre…
Depuis plusieurs mois, le mur n’est plus à jour. Ce qui fait foi, c’est le standup bot, lui-même assis sur le portefeuille des startups de beta.gouv.fr. Pourtant nous hésitons, car “c’est joli”, et cela fait partie du patrimoine. Nous votons néanmoins pour le détruire et repartir à zéro sur une nouvelle exploitation de cet espace. Le nouvel usage consiste désormais à y coller des accomplissements publics de nos produits : coupures de presse, post-it mentionnant des seuils de mesure d’impact franchis … jusqu’à trouver mieux.
Quoi de mieux pour des stagiaires venus s’initier aux pratiques de l’innovation de voir débarquer au milieu de leur cursus les praticiens expérimentés qu’ils aspirent à devenir ?
La pratique de cet exercice hebdomadaire a induit chez tous une amélioration dans la forme et dans le fond : parler en public, juger de ce qui est intéressant pour les autres, avoir une parole inclusive qui intègre les “non-sachants”, ne pas abuser du temps des gens, prendre soin d’évoquer son propre apprentissage, ses faiblesses …
La sincérité, les valeurs de transparence qui nous animent en font un moment très énergisant, même dans les mauvaises nouvelles que l’on partage.
La dynamique d’amélioration continue heurte toujours les individus en ce qu’elle leur impose de changer. Changer c’est faire le deuil de ce que l’on faisait avant, des fois depuis longtemps. Elle nous incite à parler des problèmes, sans tabou, ce qui n’est pas toujours aisé. Comme on dit chez nous, soyons dur avec le système et doux avec les gens. J’observe que plus on change régulièrement, plus il est facile de changer, et plus les changements ont des impacts positifs, contribuent à notre bonheur au travail et à notre efficacité.
Elle témoigne enfin de la vacuité d’une pensée managériale et politique - encore dominante - qui voudrait trouver LA solution à TOUS les problèmes, là où ne peut fonctionner qu’une patiente attention des acteurs du système à leurs propres problèmes.