Les startups d’État ne sont pas seulement de petites équipes frugales et autonomes qui développent des applications à partir des usages réels de leurs utilisateurs. Ce sont aussi des équipes qui, au fil des mois, ont développé, avec leurs partenaires, un ensemble de ressources essentielles à une stratégie visant un État qui stimule et accueille l’engagement citoyen, qui favorise et utilise l’innovation du plus grand nombre, qui garantisse les ressources accessible à tous : l’État plateforme.
L’État plateforme, c’est l’actualisation en France d’une vision essentielle née dans les communautés numériques : le government as a platform.
Texte publié dans la note “Des Startup d’État à l’État plateforme”, Pierre Pezziardi & Henri Verdier (Fondation pour l’innovation politique, Paris, 2017)
Government as a platform, État plateforme, Gouvernement 2.0, et désormais la vogue des civic tech partent du même constat : les citoyens équipés, éduqués et connectés savent créer Wikipédia, OpenStreetMap, OpenFoodFacts, Linux et tant d’autres ressources de qualité. Les chercheurs, les collectifs d’hacktivistes et les entreprises peuvent (et souhaitent) concourir à l’intérêt général. Tous les géants du Web partagent cette stratégie : ils encouragent cette créativité, la nourrissent de différentes ressources (accès aux données, accès au code, etc.), l’infléchissent parfois par de subtiles conditions générales d’utilisation, et trouvent une manière directe ou indirecte de prélever une part de la valeur ainsi créée. Certaines plateformes prédatrices, une fois leur position dominante établie, détournent ensuite ces règles du jeu à leur bénéfice unique, et c’est au creux d’un paragraphe anodin que vous découvrez votre vie privée mise en pâture par Google ou vos droits sociaux broyés par Uber.
L’État-plateforme, c’est l’ambition d’une puissance publique qui sache agir de manière similaire, mais, pour sa part, au service de l’intérêt général. La puissance publique peut désormais agir en facilitant l’accès à différentes ressources, biens publics, bien communs, infrastructures cognitives, au lieu de prétendre réguler par l’interdiction. En donnant accès à ses données, à ses logiciels, à ses simulateurs, à une identité authentifiée (à travers France Connect), à une monnaie. En nouant des relations dynamiques avec ces communautés pour mieux encore servir l’intérêt général.
Cette ambition s’ancre dans une stratégie technologique. La conception d’une informatique souple, modulaire, évolutive, dont chaque composante peut servir de ressources pour les autres composantes, dont chaque fonctionnalité est réutilisable par un autre système de l’administration. Une informatique moins chère (que l’on songe aux 150 services administratifs qui, dix mois après son ouverture, utilisent l’APIentreprise développée pour Marchés Publics Simplifiés). Une informatique qui facilite, voire stimule, l’innovation des administrations ou, si elle le décide, d’écosystèmes entiers (observons graviter autour de le.taxi les dizaines d’applications destinées aux chauffeurs et à leurs clients). Une informatique conviviale au service de ses utilisateurs. Elle se jouera aussi dans la conception du Service public de la donnée qui a été promulgué dans la loi pour une République numérique.
Il est assez clair désormais que les développements agiles assis sur un système d’information « plateforme » représentent l’avenir de l’informatique de l’État comme de toutes les grandes organisations.
Avec cette double stratégie d’État plateforme et d’innovation radicale, la France pourrait reprendre une position de choix dans l’industrie numérique. Non plus comme simple fournisseur de ressources (le marché de l’édition logicielle, des services informatiques et du conseil en technologies représentent en France en 2015 environ 50 milliards d’euros), mais comme promoteur d’une approche inédite, qui leur ouvrira le marché mondial de la modernisation de l’action publique, et donc de la débureaucratisation. Déjà, c’est à Paris que se sont rassemblés en décembre dernier plus de 5000 transformateurs de l’action publique, gouvernements, entreprises et civic-tech, au cours du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Déjà, les Luxembourgeois utilisent l’infrastructure data.gouv.fr et se lancent dans laBonneBoite, et quand Montréal décide d’utiliser le.taxi, ce sont tous les partenaires du service qui sont aux premières loges pour exporter leurs offres. Une grande nation innovante peut décider d’exporter en bloc ses valeurs, son expérience et ses compétences.
Le statu quo ouvrira un boulevard à des acteurs innovants - privés pour la plupart - qui s’empareront des problèmes des citoyens - chômage, non-recours aux aides publiques, mal-logement, santé…-, reléguant l’État à un rôle de soutier bougon et procédurier plus que de protecteur bienveillant. Si nous ne réussissons pas la généralisation de mes-aides.gouv.fr, n’importe quel Google proposera sous peu un guichet moderne de sécurité sociale. Prenons-en bien toute la mesure.
À l’inverse, nombre de ces initiatives feront émerger des services publics réutilisables par d’autres opérateurs, et qui simplifieront l’action de l’État auprès de l’usager, où qu’il soit, quel qu’il soit. Surtout si l’État adopte les stratégies de plateforme qui permettent à ses ressources de stimuler, et si nécessaire d’orienter, un flux d’innovations. Le.taxi en est un bon exemple. Il en va de même pour La Bonne Boîte, dont le but n’est pas de capter toute l’audience des chercheurs d’emploi sur son site Web, mais d’être aussi réutilisé par différents services d’aide au retour à l’emploi, publics comme privés, offrant ainsi une variété d’offres aux usagers.
Cette posture est nouvelle pour un État qui se vit aujourd’hui plus en service monopolistique qu’en stimulateur (ou coproducteur) de l’initiative de la société. Pourtant, cet « État plateforme » n’est pas la fin de l’État, mais au contraire l’incarnation d’une souveraineté retrouvée au centre du jeu numérique. Il est par exemple très facile à le.taxi de fixer une commission maximale ou à La Bonne Boite d’imposer une gratuité pour les demandeurs d’emploi : c’est l’État qui donne, ou pas, la clé d’accès !
Ceci n’est qu’un modeste début. Le défi, c’est la modernisation numérique de la société et pas seulement celle de l’État. L’organisation pyramidale est-elle l’unique moyen de déployer massivement un service universel ?
Elle le fut peut-être, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Non ce n’est pas une fatalité que nos agents de police passent 60% de leur temps dans des tâches administratives. Non la solution ne passe pas par l’embauche de “clercs” qui viendraient les soulager, mais par une réinterrogation de l’intérêt même de toutes ces strates et des tâches qu’elles induisent en regard de l’objectif de maintien de l’ordre.
Ainsi des modalités plus organiques, fondées sur des collectifs à taille humaine, autonomes et responsables, sont la réelle possibilité de progrès qu’offre le numérique. Il était impossible d’en assurer la cohérence avant l’existence d’un moyen universel de partage de l’information. Or, il est désormais possible d’échanger à coût marginal données et services, garantissant une qualité uniforme du service plus que son uniformité.
Dans la révolution numérique, les Français ne sont pour l’instant champions de rien. « Champion », au sens de leader incontestable de son marché mondial. Les Américains ont diffusé leurs technologies du sol au plafond, les Allemands un système de gestion mondial aligné sur l’entreprise hiérarchique classique (SAP), et nous pas grand chose, à part des systèmes de niche assis sur des rentes réglementaires (comme les systèmes de paie, de gestion de marchés publics, de processus bancaires…).
Plus de 500 000 personnes travaillent dans ce marché endogame et fragile. Or tous les Etats seront confrontés à ces questions de souveraineté et de débureaucratisation, et les Français désormais en mesure d’exporter un savoir-faire unique aligné sur des valeurs humanistes de confiance et de coopération.
Notre puissance a rayonné au siècle des Lumières, puis à la fin du XIXe Siècle. Une puissante industrie du numérique pourra éclore au XXIe siècle.
Qui empêchera les entreprises françaises de s’organiser en unités autonomes hautement numérisées, ouvertes et alignées sur les intérêts de leurs usagers ? Ces unités autonomes qui pourraient très bien dominer leurs concurrentes ultra-hiérarchies, aliénées et prisonnières d’indicateurs et d’objectifs, devenues aveugles de l’intérêt général.
Qui appellera-t-on lorsqu’il faudra bâtir un cadastre collaboratif en Afrique ?
Qui parlera mieux de ville intelligente, les éditeurs privés Américains ou les spécialistes des ouvrages collaboratifs Français ?
Derrière tout soft power, se dessinent aussi de fructueux rouages économiques. Aux grands dirigeants de la fonction publique de saisir cette opportunité, dans les administrations centrales, territoriales et hospitalières, comme l’ont déjà fait les Pôle emploi, ANAH, Ministères de l’Environnement ou de l’Éducation. Le chemin est désormais balisé, contactez-nous !