En tant que membre de l’incubateur, je suis encore surpris à chaque fois qu’une présentation de la démarche Startup d’État conduit à une réaction laconique du type « un Product Owner et de l’agile, rien de nouveau sous le soleil, on fait ça dans notre administration depuis des années ».
Effectivement toutes les grandes organisations informatiques, qu’elles soient publiques ou privées, se revendiquent aujourd’hui des méthodes agiles. Pour autant une Startup d’État c’est un peu plus qu’une équipe qui développe en itérations et livre régulièrement du logiciel. Pour preuve la figure de l’intrapreneur, qu’on ne peut pas réduire au rôle de Product Owner.
Le rôle de Product Owner (PO) a été popularisé par la méthode Agile Scrum. En Scrum le PO est responsable de maximiser la valeur du produit et la valeur issue des travaux de l’équipe de développement.
Ne nions pas les avancées issues du génie et de l’énergie des créateurs de Scrum, Ken Schwaber et Jeff Sutherland. Ils ont réussi à tirer vers le haut une industrie entière, par la remise en cause de la lourdeur de la formalisation et par la mise en œuvre d’un outillage de gestion de projet simple et efficace.
Rançon du succès, des armées de profils du type maîtrise d’ouvrage, issues de structures privées ou publiques, ont passé la certification Scrum PO ces dernières années. Est-ce que pour autant les délais des projets, leurs coûts et la satisfaction des usagers se sont améliorés depuis ? J’en doute. En tout cas pas à la hauteur de l’effort (et du budget) de formation Product Owner.
Il y a bien sûr de très bons POs, mais statistiquement le terme de « Certified PO » m’évoque dorénavant le profil suivant :
En somme, ce PO ressemble à un gestionnaire de spécification, avec un outillage certes plus léger que l’attirail périmé du type « Spécifications Fonctionnelles Détaillées v15.12.3 ». De plus, la maintenance du backlog n’est plus l’apanage du seul Product Owner, dès qu’on se trouve dans une petite équipe pluridisciplinaire, dont plusieurs membres sont déjà aguerris aux méthodes agiles.
Passons rapidement sur les arguments classiques du « Scrum Bashing » : l’essentiel de Scrum a été posé il y a 15 ans, de l’eau a coulé sous les ponts depuis sur les meilleures façons de construire du logiciel qui rapporte de l’argent et/ou des usagers satisfaits. En particulier, les enrichissements issus des communautés agiles Kanban et DevOps doivent maintenant faire partie de la boîte à outils de base d’un profil type maîtrise d’ouvrage, au même titre que l’outillage Scrum.
Mais surtout les champions du numérique ne se sont jamais revendiqués comme Agile. A part peut-être chez Spotify, où les coachs Agiles ont une place prépondérante. Et encore, on peut y voir l’effet conjoncturel de la présence des très bons agilistes de Crisp, comme Henrik Kniberg. Les autres, que ce soit les GAFAM ou les plus petites structures en succès, ne revendiquent jamais Scrum, le backlog, ou les user stories comme ingrédients prépondérants de leur réussite numérique !
Le porteur de Startup d’État ne peut pas être qualifié de PO. En effet la dimension produit de sa Startup est trop critique pour s’arrêter à ce que recommande le rôle Scrum de PO. Le costume est trop étriqué.
On attend d’un porteur d’une Startup d’État plus que ce que recouvre le rôle de PO. En particulier, il aura à sa charge des responsabilités de gestion de produit qui sont absentes du rôle de PO, mais qu’on retrouve classiquement chez les chefs de produit (product manager en anglais).
Voici quelques exemples d’activités essentielles du chef de produit sur lesquels Scrum n’a rien à nous apprendre :
Illustrons les trous (béants) dans la raquette du Product Owner, en jetant un œil aux bénéfices attendus d’une certification Scrum PO :
Quitte à payer pour envoyer des porteurs de Startups d’État en formation, nous préférons développer leur compétences de gestion de produit numérique :
Un porteur de Startup d’État qui souhaite progresser sur le volet produit aura beaucoup plus à apprendre d’un chef de produit de « savon à main parfum coco » de chez Procter et Gamble, que d’un certificateur Scrum Product Owner.
Alors le leader de la Startup d’État c’est un chef de produit ? Oui, il est plus chef de produit que Product Owner. Mais non, il n’est pas seulement chef de produit.
Le porteur de la Startup d’État est plus proche d’un entrepreneur que d’un chef de produit. En plus des problématiques produit, son aventure va le confronter à des enjeux métier, de financement, d’organisation, de communication, et de partenariat.
Ça y est, on a trouvé. C’est un intrapreneur de Startup d’État !
La démarche de lancement d’une Startup d’État nous amène souvent à trouver ces intrapreneurs sur le terrain de l’administration, loin des départements regroupant les Product Owner et les informaticiens. Au delà des questions numériques, ses capacités d’empathie et de leadership pèseront plus dans le succès de sa Startup que ses compétences en gestion de projet ou gestion de produit. Et puis le coach et les développeurs qui l’entoureront le soutiendront et l’aideront à apprendre dans tous ces domaines « numériques ».
Le terme intrapreneur ne tire pas les connotations restrictives de PO et englobe plus que les missions du chef de produit. Bien sûr, le terme deviendra beaucoup moins sexy dans 5 ans, quand des intrapreneurs de tout poil auront envahi les organisations, et que le terme sera devenu galvaudé… À moins que nous gardions bien en tête la définition suivante : peut se revendiquer comme intrapreneur en succès celui ou celle qui fournit un URL et les preuves d’utilisateurs satisfaits.
Les intrapreneurs ne courant pas encore les couloirs des administrations, il nous arrive de mener des Startups d’État avec de très bons Product Owner. Dans cette situation tout se cale plus facilement une fois qu’on se l’est dit : ce n’est pas le même job.
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