Comment de petites équipes tentent d’impulser la modernisation de l’action publique.
Quand on me demande où je fais mon stage cet été, je réponds que je m’occupe d’une « Startup d’État ». La réaction la plus fréquente ? Un regard inquisiteur, un peu incrédule. Une « Startup d’État » ? L’expression, presque antinomique, fait sourire.
Alors, j’explicite : l’incubateur des Startups d’État est rattaché à la DINSIC, un service du Premier Ministre. « Ah, tu travailles dans l’administration, donc. » Oui. Dans le cadre de mon cursus en Affaires Publiques, il me fallait effectuer un stage dans l’Administration. M’imaginant vivre plusieurs mois dans un bureau fermé, en chemise-cravate, au bas de l’échelle d’une hiérarchie kafkaïenne, l’idée ne m’enchantait pas forcément.
Jusqu’à ce qu’on me parle de beta.gouv.fr : un espace dédié à l’innovation ? au cœur de la machine administrative de l’État ? chargé de la moderniser de l’intérieur ? avec des petites équipes qui livrent en moins de 6 mois ? Difficile à croire.
Et pourtant, il y a près d’un mois, j’ai bien rejoint l’incubateur des Startups d’État, une communauté de « faiseurs » du numérique. Au fond d’un long couloir de bureaux dans une tour abritant plusieurs services ministériels, on y est accueilli dans un des seuls open space du bâtiment, où travaillent une trentaine d’équipes autonomes sur des produits aussi divers qu’une plateforme certifiante d’évaluation de ses compétences numériques ou qu’un simulateur de droits sociaux.
Vous avez dit « stage dans l’Administration » ? Ici, on discute Open Data, Open Source et Open Access. Le débat du jour : faut-il continuer à utiliser le service de développement GitHub, ou passer sur FramaGit, son équivalent en logiciel libre ? S’affrontent alors les inconditionnels de l’Open Source et les autres, un peu plus modérés, dans une joute verbale étonnante dans un tel environnement. On se croirait presque à NUMA, au Liberté Living Lab ou à Station F.
L’incubateur s’est inspiré des meilleures pratiques de l’écosystème startup : utilisation de Slack pour la messagerie interne, hiérarchie souple, autonomie et confiance mutuelle, télétravail autorisé, transparence, expérimentations ouvertes, focus sur l’usager… La charte qui peut être lue par les nouveaux arrivants dès le premier jour ressemble davantage au manifeste d’une entreprise comme Google ou Facebook, d’une startup comme BlaBlaCar ou Citymapper, ou d’un projet collaboratif comme OpenStreetMap ou Wikipédia. Le mercredi, c’est le « standup » : les équipes de Startups d’État se réunissent pour pitcher leur avancement hebdomadaire en moins de 60 secondes. Et chaque semaine, preuve est faite que ces équipes sont capables de livrer de la valeur en temps record.
L’Administration, dont la mission est de faire tourner un système déjà bien en place, doit se confronter à un modèle perturbateur, qui s’est donné pour tâche de « Moderniser l’Action Publique » et qui appelle à de « nouvelles règles du jeu ». Deux logiques s’opposent structurellement : d’une part celle de l’administration traditionnelle qui tient contre vents et marées les rênes d’une machinerie extrêmement complexe, et dont la transformation nécessite du temps ; et de l’autre celle des startuppeurs d’État, dont le principe conducteur est de concrétiser des solutions numériques en moins de 6 mois pour résoudre de vrais problèmes rapidement et réduire les frustrations des usagers.
Au sein d’une Startup d’État, on est dans l’action permanente, le « faire » : dans une même journée on discute, on se déplace pour rencontrer les usagers, on livre des produits, on signe des partenariats, on avance le plus vite possible, et on agit avant de demander. La responsabilité confiée à chaque équipe et à chaque membre, du product owner au stagiaire, est énorme. N’importe qui peut amender les différents sites webs en proposant ses modifications ; même en tant que stagiaire, je suis inclus dans la plupart des boucles de mails et impliqué dans toutes les décisions. C’est une culture à des kilomètres de la tradition hyper-hiérarchisée top-down. L’incubateur permet à des agents de terrain, tels les conseillers Pôle emploi à l’origine de La Bonne Boîte, de La Bonne Formation ou encore de Maintenant, de capitaliser sur leur expérience au contact des usagers pour développer des outils véritablement utiles.
Si, dans les faits, la collaboration génère tant bien que mal des résultats encourageants, la communication est parfois difficile. Pour l’heure, les pratiques de l’incubateur des Startups d’État, où l’innovation est encouragée et où l’échec est accepté, est difficile à appréhender pour une administration qui n’apprécie guère les pas de côté. Or, une structure qui n’échoue jamais n’innove pas.
Malgré les différences culturelles, la communauté beta.gouv.fr se développe à bon rythme : elle regroupe déjà plus d’une trentaine d’équipes. En grandissant, elle essaime : l’incubateur de Pôle emploi a récemment ouvert, et d’autres sont en construction.
Le challenge pour les startuppeurs d’Etat, c’est de continuer à co-construire avec l’Administration pour diffuser et généraliser une culture d’innovation radicale centrée sur l’agilité et la mise en valeur d’intrapreneurs sur qui l’Etat peut compter pour participer à la modernisation de l’Action Publique. Maintenir le statu quo n’est plus possible, et les différents acteurs institutionnels l’ont bien compris : cette transformation ne fait que commencer.
Participer au changement de culture dans le mastodonte organisationnel qu’est l’Etat est passionnant. Si vous souhaitez vivre l’expérience au quotidien, n’hésitez pas à prendre contact : l’incubateur est à la recherche de toutes les bonnes volontés, stagiaires ou non.